Sans se reconnaître complètement dans l’article publié ci-dessous (sur le site « Vosstanie »), nous avons souhaité le diffuser pour une raison évidente : il apporte un regard particulier sur les manifestations de Carhaix et de Quimper. Loin des descriptions « classiques » des partis ou des organisations politiques qui le plus souvent idéalisent « la classe ouvrière », l’article rédigé par des marxistes anti-léninistes (proches du communisme de conseils) souligne la confusion entretenue par les différents protagonistes au détriment de l’avenir même du monde ouvrier. Critique à l’égard des bureaucraties syndicales, critique à l’égard des patrons, critique à l’égard des partis, nous aimons sans y adhérer totalement, lire une prose qui en quelques mots, balaie les arguments des uns et des autres, ceux -là mêmes qui prétendent aider le prolétariat. Sans arrières-pensées bien sûr. Avouons-le, il y a bien cette notion d’autonomie qui nous plaît tant à nous autres libertaires.
Autonomie ouvrière ou confusion régionaliste ?
Ce qui est intéressant avec le Comité pour le maintien de l’emploi en Centre-Bretagne c’est que cela aurait pu être une tentative de dépassement du carcan syndical par la base, une auto-organisation ouvrière qui aurait pu aboutir à une autonomie de classe loin des débilités nationalistes séparatistes des uns ou du jacobinisme outrancier des autres. Mais en ne démarquant pas une ligne de séparation nette entre les intérêts ouvriers et les intérêts des capitalistes, les ouvriers bretons ont marqué par la même les limites d’un contenu social et donc géographique. La faute à qui ? A ces ouvriers mêmes ? On oublie de signaler que parmi ceux-ci il y a tout un panel de positions : des positions « classistes » oui, jusqu’à ceux qui jouent clairement les larbins de leur patron. La faute à qui alors ? Le mouvement breton trouve ses limites … dans son isolement géographique même : c’est l’ensemble du prolétariat hexagonal et plus qui aurait du faire irruption dans la lutte pour lui donner une dimension « classiste » réelle. Tandis qu’ailleurs les ouvriers attaquent les bureaux du Medef, assiègent les réunions d’actionnaires, la manifestation de Quimper établissait l’alliance entre les exploiteurs et les exploités.
Ce qui importe ce n’est pas qu’il y avait 20 000 prolétaires à Quimper et seulement 500 à Carhaix, ce qui importe alors c’est la consolidation de l’autonomie ouvrière et ses possibilités de perspectives. Je ne suis certainement pas le seul à avoir participé à des coordinations/liaisons ouvrières : chacun sait comment ça se passe, mécaniquement, en tant qu’affirmation de soi pour notre classe, et qu’on y a jamais accepté la moindre ambigüité. Et il n’y a pas d’autonomie ouvrière lorsque tu laisses le patronat vampiriser les choses à son intérêt.
Au lieu de cela c’est la confusion générale qui est organisée. « Vivre et travailler au pays » sonne comme un mauvais slogan publicitaire pour s’opposer à la fuite des capitaux … étrangers. Qu’en tant que travailleur on verbalise spontanément la critique de ce capitalisme qui nous empêche de vivre où l’on veut et nous considère comme de la main d’œuvre jetable est une chose. Repris en cœur par l’agitation groupusculaire cela devient une orchestration générale de la confusion tendant à faire croire que la solution à l’exploitation capitaliste est le repli régional au pays ou il fait si bon travailler (oui, mais travailler comment ?). Soigneusement les parasites groupusculaires entretiennent la confusion, politisant une critique de l’aliénation capitaliste qui nous empêche de « vivre où l’on veut », la transformant en une apologie du « travail breton » (survivre et être exploité au pays ?) mauvais parallèle du « produisons français » des jacobins gâteux.
A Quimper le ver était dans le fruit. Et l’a bouffé tout cru. Plus besoin d’envoyer les matraqueurs policiers, le mouvement s’est fait matraqué de l’intérieur, insidieusement, car deux messages ne peuvent cohabiter car l’un des deux parle toujours mieux le langage de la bourgeoisie médiatique et se présente comme moins subversif en cherchant un bouc émissaire étranger commode (le politicien parisien, le bureaucrate européen face au bon patron breton) mais qui ne change rien au système plutôt que de relayer un discours qui dénonçait à la racine l’exploitation par l’actionnariat, local ou international. Dans sa caricature récupérable ce régionalisme social n’a fait qu’alimenter son pire produit : le jacobinisme sénile d’une partie de la gauche étatiste.
Dans cette optique, créer un pôle ouvrier est une bonne chose, mais pourquoi le dissoudre aussitôt dans un mouvement d’exploiteurs (l’appel à rejoindre la manifestation des Bonnets rouges) ? Encore une fois l’autonomie ouvrière se dissout dès qu’elle s’en remet à un tiers (des bureaucrates, un patronat) pour régler ses problèmes de classe. Il ne s’agit donc plus de critiquer une mauvaise direction d’une partie du mouvement ouvrier breton mais juste de signaler qu’il n’existe pas en tant que tel et qu’il sera toujours perdant d’une cohabitation avec d’autres forces sociales forcément antagonistes. On peut alors claironner ce que l’on veut sur un prétendu « pôle ouvrier », il ne sera rien sans autonomie, juste une mauvaise caution pour tous ceux qui, des groupuscules opportunistes au patronat local veulent s’en servir à ses propres fins. Les premiers pour « exploiter la colère » en termes de retombées d’adhésion ou autre, les seconds pour mieux façonner leur chantage à l’emploi.
Les bureaucrates syndicaux n’agissent donc pas contre une dynamique ouvrière pour la simple raison qu’elle n’existe pas encore. Croire le contraire c’est affirmer qu’une autonomie de classe s’exprime entièrement, alors qu’elle le fait aux côtés du patronat et parfois aux ordres du patronat. Si la diversion existe, elle existe des deux côtés. D’un côté il y a eu Force ouvrière de l’autre la CGT et d’autres bureaucraties syndicales. Est-ce à dire que les bons syndicats sont ceux qui sont d’un côté plutôt que de l’autre ? Que ceux qui sont avec les 20 000 de Quimper n’ont pas d’idées opportunistes derrière la tête ? Sauf à considérer une union syndicale qui décide à la base on sait bien que l’ensemble des confédérations n’a pas un fonctionnement démocratique permettant de connaître les positions de l’ensemble des travailleurs syndiqués, ou non.
Si la contre-manifestation de Carhaix a rassemblé des écolocrates et autres étatistes démagogiques il y a avait aussi des ouvriers qui avaient leurs propres perspectives. Entre la dynamique de la fausse conscience et l’isolement classiste ils ont choisi un camp plutôt que l’autre. D’une part car la gauche étatiste et les bureaucraties syndicales paniquées à l’idée de perdre leur contrôle sur la classe ouvrière bretonne ont joué la corde « classiste », quitte à se tirer une balle dans le pied, pour maintenir le contrôle sur une fraction du prolétariat (dont ils se foutent royalement le reste du temps) d’autre part parce que l’affrontement direct dans leurs boîtes avec le capital ne leur permettait pas de s’associer avec leurs exploiteurs dans un mouvement confus de diversion.
Pour les « gauchistes » la contorsion dialectique se mettait en place : il ne fallait pas laisser le prolétariat « égaré » de Quimper se laisser embrigader par le patronat et donc participer au mouvement comme un poisson dans l’eau (trouble). Que ce soient les bureaucrates, les patrons ou les « gauchistes », on retrouve toujours le même paternalisme envers les ouvriers. Tandis que les uns – les bureaucrates – qualifient les ouvriers bretons de Quimper de « nigauds » les autres s’engouffrent avec eux dans la grande kermesse médiatique au nom du sempiternel « coller aux masses », pauvres ouvriers « trompés » jusque dans la direction même de leur mouvement ? Du haut de leur avant-gardisme essoufflé certains ne voulaient donc pas laisser le prolétariat aux mains de la confusion sans comprendre en quoi un certains nombres de paramètres objectifs agissent pour configurer un mouvement avec toutes ses limites, et se vautrent alors contradictoirement dans un ouvriérisme démagogique qui n’est que le reflet de la « prolophobie » des bureaucrates d’en face, la même méfiance en une classe ouvrière qu’ils infantilisent en permanence.
On passera sur l’ironie d’organiser le départ d’un « pôle ouvrier » à partir du site du festival des Vieilles Charrues dont le patron est un briseur de grève notoire, mais il faudra bien prendre garde à ne pas confondre « manifestation » et « mouvement social ». Tandis que la première est un concentré de codes militants publicitaires (avec des enjeux qui ne regardent que la stratégie d’organisations concurrentes), le second trouve ses racines dans un mouvement profond fait d’assemblées générales, de comités d’action et de liaison, de grèves actives, etc. L’important n’est donc pas qu’il y ait une, quatre, ou dix manifestations, de « faire du chiffre », vision comptable militante aliénée, mais en quoi ces manifestations sont l’expression d’une cohérence minimale pour la classe ouvrière. La manifestation publicitaire, mécaniquement, parle le langage de la bourgeoisie médiatique là où à l’inverse nous devons reprendre le sens de la manifestation pour notre propre classe : traverser les quartiers ouvriers au lieu des centre villes, rallier des usines entre elles pour mobiliser et entraîner une dynamique. C’est sur cette base que se construira une autonomie ouvrière réelle dont la formulation des objectifs immédiats n’est pas une dualité caricaturale entre la revendication concrète et la transformation sociale mais bien l’affirmation d’intérêts de classe universels, contradictoire avec l’isolement facteur d’échec. En ce sens le caractère concret de cette lutte fera des ouvriers bretons l’amorce d’un mouvement global de contestation du capital.
Ici ou là bas, partout, travail contre capital !