L’échec de la gauche radicale, notamment en Grèce, est attribué à son attachement à l’Europe. Pour de nombreux observateurs, il semble indispensable de rompre avec l’Union européenne et avec la monnaie de l’euro pour relancer l’économie et sortir de la crise. Cette fausse solution se banalise aujourd’hui chez de nombreux intellectuels, sans même parler de Jacques Sapir. L’économiste d’Etat Frédéric Lordon s’est fait le chantre de cette voie de garage. Mais ses textes confus privilégient le bavardage spinoziste sur l’histoire du mouvement ouvrier. Ce qui devrait suffire à le discréditer. Aurélien Bernier propose au contraire un discours clair qui permet de saisir la réflexion de toute cette mouvance. En 2014, il propose ses analyses dans son livre La gauche radicale et ses tabous.
L’OBS: Il y a trois mois, la France défilait au nom de la liberté d’expression et du vivre-ensemble. Les dernières élections départementales ont été marquées par une nouvelle poussée du Front national. Comment analysez-vous la succession rapide de ces deux événements, qui paraissent contradictoires?
Jacques Rancière : Il n’est pas sûr qu’il y ait contradiction. Tout le monde, bien sûr, est d’accord pour condamner les attentats de janvier et se féliciter de la réaction populaire qui a suivi. Mais l’unanimité demandée autour de la «liberté d’expression» a entretenu une confusion. En effet, la liberté d’expression est un principe qui régit les rapports entre les individus et l’Etat en interdisant à ce dernier d’empêcher l’expression des opinions qui lui sont contraires.
Or, ce qui a été bafoué le 7 janvier à «Charlie», c’est un tout autre principe: le principe qu’on ne tire pas sur quelqu’un parce qu’on n’aime pas ce qu’il dit, le principe qui règle la manière dont individus et groupes vivent ensemble et apprennent à se respecter mutuellement.
Mais on ne s’est pas intéressé à cette dimension et on a choisi de se polariser sur le principe de la liberté d’expression. Ce faisant, on a ajouté un nouveau chapitre à la campagne qui, depuis des années, utilise les grandes valeurs universelles pour mieux disqualifier une partie de la population, en opposant les «bons Français», partisans de la République, de la laïcité ou de la liberté d’expression, aux immigrés, forcément communautaristes, islamistes, intolérants, sexistes et arriérés.
On invoque souvent l’universalisme comme principe de vie en commun. Mais justement l’universalisme a été confisqué et manipulé. Transformé en signe distinctif d’un groupe, il sert à mettre en accusation une communauté précise, notamment à travers les campagnes frénétiques contre le voile. C’est ce dévoiement que le 11 janvier n’a pas pu mettre à distance. Les défilés ont réuni sans distinction ceux qui défendaient les principes d’une vie en commun et ceux qui exprimaient leurs sentiments xénophobes.
★ Il y a des gens qui sont morts pour avoir le droit de vote…
C’est ce qui nous est régulièrement opposé quand on critique le système électoral d’un point de vue anarchiste. Regardons de plus près ce que cela signifie.
Déjà, on peut constater qu’il y en a aussi qui sont morts au combat pour imposer le fascisme, le bolchevisme, une idéologie religieuse, ou une autre dictature, etc… Cela en fait-il pour autant des personnes estimables dont nous devrions suivre la voie ?
Deuxièmement, ce genre de réplique toute faite, qui se veut un argument, émane parfois de certains individus, qui ne font rien pour améliorer la société, pour une plus grande justice sociale. Ils ne font pas grève, ne manifestent pas pour quelque cause que ce soit, font leurs courses dans la grande distribution y compris le dimanche, ne défendent pas l’environnement, ne sont pas solidaires de leurs collègues de travail qui subissent les tracasseries de la hiérarchie et ils répètent les inepties proférées dans les grands médias sans esprit critique… etc.